Je m'appelle Emmanuelle Bluwal-Bournoville. Pour chacun d’entre nous, noms et prénoms sont porteurs d’histoires. Comment on s’appelle, cela nous relie à nos parents, à leurs héros, leurs attentes mais aussi aux générations qui les ont précédés. Cela raconte des histoires qui nous font voyager dans le passé et le monde.
27 lettres,
9 syllabes,
et plein d'histoires
Ma vie à moi s'est justement construite au fil des voyages, un fil de rencontres et de dépaysements.
Je suis née à Paris en 1971. J'y ai grandi et presque toujours vécu. C'est là que j'ai fait mes premières explorations, très tôt séduite par les sobres fantaisies des façades haussmanniennes mais aussi par les histoires étranges des portails gothiques et les perspectives grandioses offertes par la Seine quand on allait voir les bouquinistes. Cette vue depuis le pont du Carrousel… Mon père m’impressionnait, lui qui connaissait, entre autres, le plan du métro par cœur – le goût des cartes et des atlas m'en est resté. Et les récits de plateau que ma mère faisait immanquablement claquer en sortant de scène ou de tournage achevaient de me captiver. Avec l’un et l’autre, les yeux brillants comme des noisettes, j'ai arpenté les drôles de pays du théâtre et de la télévision. Et sur leurs épaules, commencé à découvrir les sommets et les recoins de la peinture et de la musique. La beauté est l’un des points cardinaux de ma rose de vents.
Ne sommes-nous pas tous une somme d'histoires ?
Histoire & histoires
Plus tard, après l'essoreuse de la prépa littéraire, c'est le monde du Moyen Age que j'ai sillonné à la Sorbonne. J'y ai obtenu une maîtrise d'Histoire médiévale, en étudiant de petites vies, ponctuées de grands miracles. J'y ai forgé des méthodes d'apprentissage et de recherche rigoureuses, qui sont la base de mon travail de biographe aujourd'hui. Pouvoir retrouver dans les livres et les archives de quoi rendre palpable une époque, restituer un contexte et redonner une part de vie à des êtres et des univers disparus ? C'est une expérience rare, presque grisante.
Pendant de nombreuses années, j'ai ensuite eu la chance de poser mes valises ailleurs, « à l'étranger » et d'expérimenter d'autres réalités, aux saveurs linguistiques, musicales et culinaires que le temps n’a pas empoussiérées. J'ai écouté des histoires d'autodérision à Bruxelles, de cohabitation à Stuttgart ou encore d'enfances ruinées dans les favelas de São Paulo et de ruines dévorées à Détroit. Là et là-bas, ceux que j'ai rencontrés, notamment en enseignant le français comme langue étrangère, ont transformé mon regard sur la France et la planète.
Le goût du détail et du mot juste
De retour à Paris, telle Alice, j'ai fait un voyage au pays des merveilles... du luxe. Pendant presque douze ans, de grandes maisons m'ont ouvert leurs portes et leurs enjeux comme consultante dans les domaines de la formation et de la communication interne. Nouvelles langues à apprendre : celles des savoir-faire – transmis dans les ateliers des brodeuses, des plumassiers ou encore des maîtres-horlogers penchés sur leurs « complications » – mais aussi novlangue managériale... Et nouvelles histoires à ciseler afin de tendre un beau miroir et susciter le désir éternel des foules sentimentales. Cette traversée du pays de l'éphémère et des traditions m'a donné le sens des récits structurés et du mot juste, l'attention aux détails et le goût des expériences sur-mesure.
Je pourrais encore vous dire comment quelques pizzicati de la Pastorale peuvent pincer le coeur, comment Puissance 4 fait palpiter le destin ou comment les grenouilles du printemps cévenol chantent la perte avec obstination. Mais j’aimerais plutôt vous raconter comment Lucie et Stefan ont changé ma vie. Et c’est toute une histoire…
Comment je suis devenue biographe
Il s'appelait Stefan, avec un f.
Il avait 48 ans quand on avait perdu sa trace. Il avait été dénoncé, arrêté et torturé sous les yeux des siens et notamment sous les yeux de sa fille Lucie, qui était alors âgée de cinq ans. Puis Stefan avait été déporté par les nazis dans le tout dernier train de déportation ayant quitté la France, au départ de Tourcoing le 1er septembre 1944, soit à peine trois jours avant la libération de la ville par les Anglais : « le train de Loos ». Et puis, plus rien. Personne n’avait jamais su ce qu'il était advenu de Stefan. Il était mort sans doute mais où, quand, comment ? Le deuil pour Lucie et sa famille n'avait pas été facile.
75 ans plus tard
Voilà que j’étais en train de suivre méthodiquement la trace de Stefan, à partir notamment du livre de référence sur ce sinistre train. Et le portrait du père de Lucie se dessinait de plus en plus nettement. Lucie avait dit d’accord : « Pour transmettre à mes enfants ! » J'avais donc déjà passé plusieurs heures à l'écouter, ses souvenirs comme ses silences. Avec son aval, j’avais aussi reconstitué son arbre généalogique, déniché de vieilles cartes postales, de vieux atlas et des articles de presse riches d’enseignements, retrouvé le dossier professionnel de Stefan, retracé l'histoire de son réseau de résistance – dont Lucie ne savait presque rien – ou encore exhumé des archives judiciaires pour croiser son témoignage avec ceux du procès de la dénonciatrice de son père. J’avais lu de savants ouvrages au cœur de l’historiographie de la Pologne, de l’exploitation minière dans le nord de la France mais aussi bien sûr des deux guerres mondiales. Enfin, j’avais déjà structuré le récit et peaufiné l’écriture. J’étais, de fait, en train d'écrire avec Lucie sa biographie familiale.
Et puis un jour…
J'ai découvert presque par hasard une option de recherche sur un site d'archives de la Seconde Guerre mondiale. Et là, après avoir essayé plusieurs orthographes de son nom polonais, j'ai retrouvé la trace de Stefan ! Incrédule et franchement tremblante, pour ne pas dire ahurie, j’ai eu accès à son destin. Si bien que, peu après, j’ai raconté à Lucie dans quelles circonstances, malheureusement épouvantables, avait disparu son père. Ce jour-là, Lucie n’a pas retrouvé ce père ni réparé son enfance mais elle a pu « mettre un point final là où il y avait toujours eu un point d'interrogation ». Et elle a pu transmettre un récit à ses enfants. Ce jour-là, j'ai fait le lien entre mon goût pour les histoires des gens et pour l'Histoire du monde. Ce jour-là, j’ai su que je voulais devenir biographe pour particuliers.
Depuis, j'ai professionnalisé ma démarche en me formant chez Aleph Ecritures et obtenu la Certification de Biographe en 2024. Depuis, j’ai écouté beaucoup d’autres histoires qui, chacune à leur manière, ont laissé leur trace et… une biographie.

